- 1. Le champ d’application temporel de la charte
- 2. Une taxonomie des actes nationaux auxquels s’applique la charte
- 3. Le rôle des sources nationales de protection dans l’application de la charte
- 4. La distinction entre «droits» et «principes»
- 5. L’interprétation des droits fondamentaux garantis par la charte: les explications
- 6. Quand les droits fondamentaux prévus par la charte peuvent-ils être limités?
- 7. Les effets de la charte au niveau national
1. Le champ d’application temporel de la charte
La charte ne contient pas de dispositions visant à en déterminer le champ d’application dans le temps. Certaines règles peuvent néanmoins être déduites de la jurisprudence de la Cour de justice. Pour ce qui est des violations de droits fondamentaux qui trouvent leur origine dans un acte de l’Union, la charte peut être utilisée comme paramètre même si l’acte en question a été adopté avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne (voir par exemple les arrêts dans les affaires C-92/09, Volker und Markus Schecke, C-236/09, ASBL Test-Achats, C-293/12, Digital Rights Ireland et C-362/14, Schrems.
En revanche, pour ce qui est des actes nationaux qui relèvent du champ d’application de la charte (voir la section 3 de la partie II et la section 2 de la partie III), il n’est pas possible d’invoquer les effets directs de la charte (voir la section 7) si les faits à l’origine de l’affaire sont antérieurs à la date d’entrée en vigueur du traité de Lisbonne (le 1er décembre 2009). Voir, à cet égard, l’arrêt dans l’affaire C-316/13, Fenoll. À ce propos, il est utile de rappeler qu’avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la Cour de justice avait déjà garanti la protection de certains droits fondamentaux par les principes généraux du droit de l’Union (voir la section 2.3). Par conséquent, il pourrait être utile de vérifier si la disposition en question de la charte protège un droit fondamental qui était déjà protégé en tant que principe général (et de vérifier, en utilisant le même test que celui prévu par la charte – voir la section 7 –, si ce principe est conforme aux conditions de l’effet direct).
2. Une taxonomie des actes nationaux auxquels s’applique la charte
Ainsi que nous l’avons abordé dans la section 2 de la partie II, en vertu de son article 51, paragraphe 1, la Charte offre une protection contre les violations découlant de mesures nationales qui «mettent en œuvre le droit de l’Union». Il en résulte que la protection de la charte ne peut pas être activée en faisant simplement valoir qu’il s’agit en l’espèce de la violation d’un droit fondamental.
La charte ne peut être invoquée que lorsqu’une disposition du droit primaire ou secondaire de l’Union autre que les dispositions de la charte est applicable au cas d’espèce. En d’autres termes, il est nécessaire qu’il existe un lien suffisant entre une norme de droit de l’Union et les actes nationaux ou les dispositions nationales qui enfreignent prétendument la charte.
Le lien doit être suffisant – il ne suffit pas que les dispositions européennes et nationales portent sur la même question: la disposition de droit de l’Union doit prévoir une norme spécifique qui puisse servir de norme de référence, au niveau national, dans le domaine concerné.
Par conséquent, à part les dispositions de la charte, il existe aussi d’autres règles de droit de l’Union qui ne peuvent pas activer la protection de la charte: tel est le cas des dispositions du traité qui attribuent au législateur européen le pouvoir d’adopter des actes dans un domaine déterminé. En revanche, les actes de l’Union (par exemple les directives ou les règlements européens) adoptés par le législateur de l’Union dans l’exercice de ce pouvoir peuvent déclencher l’application de la charte par rapport aux dispositions nationales qui les mettent en œuvre.
Par exemple, l’article 19 du TFUE prévoit que «le Conseil, statuant à l’unanimité conformément à une procédure législative spéciale, et après approbation du Parlement européen, peut prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle». En se fondant sur cette disposition (ou, à vrai dire, sur son prédécesseur, l’article 13 du TCE), le législateur européen a adopté des actes législatifs importants, et notamment: la directive 2004/113/CE mettant en œuvre le principe de l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans l’accès à des biens et services et la fourniture de biens et services; la directive 2000/78/CE portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail; la directive 2000/43/CE relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique. La charte peut être invoquée à l’encontre d’une disposition nationale qui entre dans le champ d’application de ces directives. En revanche, la protection de la charte ne peut pas être activée en soutenant uniquement que l’Union est compétente pour lutter contre certains types de discrimination si la disposition nationale en question concerne un domaine qui n’est pas couvert par les directives susmentionnées.
Une liste des cas dans lesquels les dispositions nationales peuvent être considérées comme mettant en œuvre le droit de l’Union est présentée ci-après. Dans les situations décrites, il existe un lien entre l’acte ou la disposition nationale prétendument contraire à la charte et le droit européen susceptible d’activer la protection de la charte. En cliquant sur chaque catégorie, vous aurez accès à une brève explication et à un exemple pratique.
Il faut souligner que cette liste n’est pas exhaustive: elle s’appuie sur la jurisprudence de la Cour de justice, qui peut évoluer dans le temps.
2.1 Les dispositions nationales adoptées en vue de mettre en œuvre le droit de l’Union
La charte s’applique aux mesures nationales prises pour s’acquitter des obligations découlant du droit européen, comme les directives ou les règlements de l’Union (voir, respectivement, les exemples 1 et 2 ci-après).
Les directives ne lient les États membres destinataires qu’en ce qui concerne le résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales le choix de la forme et des moyens pour réaliser cet objectif. Par conséquent, une directive impose l’adoption – dans le délai fixé par elle – d’une réglementation nationale de mise en œuvre, à moins que les règles nationales existantes ne puissent garantir la réalisation de l’objectif prescrit.
Les obligations imposées par les directives européennes peuvent aussi bien être des obligations très spécifiques qu’être formulées de manière plus large: que l’on pense, par exemple, aux mesures nationales donnant effet aux obligations de prévoir des sanctions et des peines effectives, proportionnées et dissuasives pour la violation de règles nationales de transposition d’une directive (voir le point 4 de cette taxonomie).
Toutefois, la marge d’appréciation laissée aux États membres ne porte pas atteinte à l’obligation de respecter les droits fondamentaux de l’Union au moment d’adopter les mesures de mise en œuvre. Les États membres ont l’obligation de donner exécution aux obligations découlant du droit de l’Union en cause, de façon à atteindre l’objectif poursuivi par la directive, tout en restant cohérents par rapport aux droits fondamentaux de l’Union. En revanche, lorsqu’aucun pouvoir d’appréciation n’est laissé aux États membres et que la disposition du droit de l’Union apparaît, en soi, incompatible avec les droits fondamentaux européens, il convient qu’une juridiction nationale pose une question préjudicielle à la Cour de justice, lui demandant de vérifier la validité de la disposition.
Contrairement aux directives, les règlements ont, en règle générale, un effet immédiat dans les ordres juridiques nationaux, sans qu’il soit besoin pour les autorités nationales d’adopter de mesures de mise en œuvre. Toutefois, certaines dispositions de règlements peuvent nécessiter l’adoption de telles mesures, mais ces dernières ne doivent pas faire obstacle à l’applicabilité directe du règlement, ni dissimuler sa nature de règlement de l’Union. En outre, les mesures nationales d’exécution d’un règlement européen doivent être conformes aux normes de protection des droits fondamentaux de l’Union.
Les dispositions de droit primaire de l’Union peuvent également être une source d’obligations pour les États membres, dont la mise en œuvre exige l’adoption de mesures d’exécution qui soient conformes à la charte (exemple 3).
Exemples
1) L’exemple suivant, relatif à des dispositions nationales adoptées en vue de transposer une directive de l’Union, est tiré de l’arrêt de la Cour de justice du 15 janvier 2014, dans l’affaire C-176/12, Association de médiation sociale.
M. Laboubi a été désigné comme représentant des travailleurs dans son entreprise. Son employeur a demandé l’annulation de cette désignation, faisant valoir que le nombre de salariés n’atteignait pas le seuil minimum qui entraîne l’obligation, prévue par la loi, de désigner un représentant. Il a souligné le fait que la plupart des travailleurs avaient été embauchés avec un type de contrat qui, d’après la législation nationale, ne peut pas être pris en compte aux fins du calcul du seuil en question.
La juridiction nationale a émis des doutes sur la compatibilité de cette législation nationale avec l’article 27 de la charte, relatif au droit à l’information et à la consultation des travailleurs au sein de l’entreprise. Elle a donc décidé de soumettre une demande de décision préjudicielle à la Cour de justice.
La Cour a estimé que la charte était applicable en l’espèce, dans la mesure où la réglementation nationale en cause a été adoptée en vue de transposer la directive 2002/14/CE établissant un cadre général relatif à l’information et à la consultation des travailleurs.
2) L’exemple suivant, relatif à des dispositions nationales d’exécution d’un règlement de l’Union, est tiré de l’arrêt de la Cour de justice du 15 mai 2014, dans l’affaire C-135/13, Szatmàri Malom Kft.
Le propriétaire d’une meunerie avait présenté une demande d’aide financière en vertu du règlement (CE) n° 1698/2005 concernant le soutien au développement rural. Son intention était d’utiliser cette aide pour remplacer la meunerie par un établissement neuf, sans augmentation de la capacité existante. L’autorité nationale compétente avait refusé le versement de l’aide au motif que, selon la législation nationale de mise en œuvre du règlement, une aide ne peut être accordée que pour la modernisation de meuneries existantes et non pour la construction d’une nouvelle meunerie. Le demandeur a alors introduit un recours contre le refus, et la juridiction nationale a demandé à la Cour de justice de se prononcer sur la compatibilité de la législation nationale avec le règlement.
La Cour a souligné qu’il appartient à l’État membre de fixer des règles spécifiques concernant l’éligibilité des demandes d’aide financière. Toutefois, ces règles doivent être conformes à la condition particulière fixée par le règlement, à savoir que l’aide doit améliorer les performances générales du secteur. Les États membres peuvent introduire des conditions d’éligibilité supplémentaires, à condition qu’elles n’excèdent pas la marge d’appréciation qui leur est accordée. L’objet de la législation nationale était d’éviter d’encourager, par l’octroi d’une aide, la création de nouvelles capacités dans le secteur de la meunerie, un secteur caractérisé par une sous-utilisation des meuneries existantes. La Cour a estimé cet objectif raisonnable. Toutefois, elle a considéré que, dans un cas comme celui du demandeur, la législation nationale portait atteinte au droit fondamental à l’égalité de traitement, consacré à l’article 20 de la charte, dans la mesure où la création d’un nouvel établissement aurait suivi la clôture de l’ancien établissement, sans augmentation de la capacité existante.
Pour information, la Commission européenne a publié des «Orientations relatives à la garantie du respect de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne lors de la mise en œuvre des Fonds structurels et d’investissement européens ("Fonds ESI")». Ces orientations comprennent une série de mesures nationales qui constituent la «mise en œuvre du droit de l’Union» au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la charte.
3) L’exemple suivant, relatif aux mesures nationales d’exécution des dispositions du droit primaire de l’Union, est tiré de l’arrêt de la Cour de justice du 6 octobre 2015, dans l’affaire C-650/13, Delvigne. Dans une affaire concernant la dégradation civique d’un citoyen de l’UE, une juridiction française a mis en doute la compatibilité avec l’article 39, paragraphe 1, de la charte des dispositions nationales qui prévoient une privation automatique du droit de vote en cas de condamnation pénale par un jugement pénal définitif rendu avant le 1er mars 1994 (date d’entrée en vigueur du nouveau code pénal). La juridiction nationale a donc décidé d’introduire une demande de décision préjudicielle devant la Cour de justice.
La Cour a jugé qu’en vertu de l’article 8 de l’acte de 1976 portant élection des membres du Parlement européen (qui a le statut de droit primaire de l’Union), «sous réserve des dispositions que cet acte contient, la procédure électorale est régie, dans chaque État membre, par les dispositions nationales» (point 29).
Et elle a poursuivi son raisonnement, en déclarant que «les États membres sont tenus, dans l’exercice de cette compétence, par l’obligation, énoncée à l’article 1er, paragraphe 3, de l’acte de 1976, lu en combinaison avec l’article 14, paragraphe 3, TUE, d’assurer que l’élection des membres du Parlement européen se déroule au suffrage universel direct, libre et secret».
Dès lors, il y a lieu de considérer qu’un État membre qui, «dans le cadre de la mise en œuvre de [cette] obligation [...], prévoit, dans la législation nationale, une exclusion du nombre des bénéficiaires du droit de vote aux élections au Parlement européen, des citoyens de l’Union, qui [...] ont fait l’objet d’une condamnation pénale devenue définitive avant le 1er mars 1994, doit être considéré comme mettant en œuvre le droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte» (points 32 et 33).
2.2 Les dispositions nationales qui mettent en œuvre le droit de l’Union même si elles n’ont pas été adoptées à cette fin
Un État membre ne doit pas nécessairement adopter de nouvelle réglementation pour respecter les obligations découlant du droit européen: cela n’est pas nécessaire lorsque les dispositions nationales existantes peuvent déjà assurer la conformité de l’ordre juridique national à ces obligations. Que la mesure nationale ait été adoptée en vue de donner exécution à une obligation de l’Union ou qu’elle serve plutôt à mettre en œuvre cette obligation, et même si elle a été adoptée sur la base d’une initiative purement nationale, n’a pas d’importance.
Cela signifie que les mesures nationales dont l’adoption a précédé celle de l’obligation de droit de l’Union qui a été mise en œuvre sont susceptibles d’entrer dans le champ d’application de la charte.
Cette hypothèse est illustrée aux points 3) et 4), bien qu’elle puisse également porter sur des dispositions nationales autres que celles qui prévoient des règles de procédure ou des sanctions.
2.3 Les dispositions nationales de droit procédural régissant l’exercice, devant les juridictions nationales, de droits (ordinaires) conférés aux particuliers par le droit de l’UE
Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice, «en l’absence de réglementation communautaire en la matière, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de l’effet direct du droit communautaire» (voir, par exemple, l’arrêt dans l’affaire C-276/01, Steffensen, point 60).
Le traité de Lisbonne a codifié cette jurisprudence. La deuxième phrase de l’article 19, paragraphe 1, du TUE dispose que «[l]es États membres établissent les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union».
Par conséquent, la charte – et en particulier son article 47 sur le droit à un recours effectif – s’applique en ce qui concerne les dispositions nationales de procédure qui, indépendamment du fait qu’elles ont été adoptées spécifiquement à cet effet, régissent l’exercice, devant les juridictions nationales, des droits (ordinaires) reconnus aux particuliers par le droit européen. De tels droits peuvent résulter de directives ou de règlements, ou même de dispositions de droit primaire autres que les dispositions de la charte.
Exemples
L’exemple suivant, relatif aux dispositions procédurales régissant l’exercice d’un droit conféré par le droit européen, est tiré de l’arrêt de la Cour de justice du 22 décembre 2010, dans l’affaire C-279/09, DEB.
Une entreprise allemande active sur le marché du gaz naturel considère avoir subi un préjudice en raison du retard dans la mise en œuvre de deux directives européennes sur la fourniture du gaz naturel. Elle a donc voulu intenter un recours en réparation de dommages résultant d’infractions au droit de l’Union, sur la base de la jurisprudence Francovich. Faute de recettes et d’actifs suffisants, l’entreprise n’était pas en mesure de payer l’avance de frais prévue par la législation nationale en la matière. Pour la même raison, elle n’avait pas non plus les moyens de se payer un avocat, dont la présence, en vertu du droit allemand, est obligatoire pour ce type de procédure. La cour constitutionnelle allemande ayant interprété les dispositions nationales en matière d’aide juridictionnelle comme visant uniquement les personnes physiques, la demande de l’entreprise avait été rejetée.
L’entreprise a fait appel de cette décision et la juridiction nationale a posé une question préjudicielle à la Cour de justice concernant la compatibilité des règles internes de procédure civile avec le principe de la protection juridictionnelle effective du droit européen. La Cour de justice a affirmé sa compétence pour examiner, au sens de l’article 47 de la charte, les dispositions nationales (et, en particulier, l’interprétation fournie par la cour constitutionnelle allemande), dans la mesure où, dans le cas d’espèce, ces dispositions allaient perturber l’exercice devant une juridiction d’un droit conféré par le droit de l’Union (le droit à obtenir réparation des dommages causés par l’incapacité d’un État membre à mettre en œuvre les obligations découlant du droit de l’Union). Dès lors, les dispositions procédurales qui servent à l’exercice de droits garantis par le droit de l’Union entrent dans le champ d’application de la charte, indépendamment du fait qu’elles aient été adoptées spécifiquement à cet effet.
2.4 Les dispositions nationales relatives aux sanctions applicables à l’inexécution des obligations découlant du droit de l’Union
De plus en plus souvent, les actes législatifs européens exigent que les États membres prévoient des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives en cas de violation des obligations spécifiques précisées dans ces actes ou dans leur législation de transposition.
Les États membres peuvent s’acquitter de cette obligation en adoptant des sanctions spécifiques, qui doivent être conformes aux exigences relatives à la protection des droits fondamentaux inscrits dans la charte. Toutefois, les États membres peuvent toujours s’appuyer sur des sanctions déjà prévues pour des infractions (comparables) au niveau national. Dans ce cas, la charte ne peut être invoquée que lorsque ces sanctions sont appliquées pour la violation d’une obligation découlant du droit européen.
Exemples
L’exemple suivant est tiré de l’arrêt de la Cour de justice du 26 février 2013, dans l’affaire C-617/10, Åkerberg Fransson.
Un pêcheur suédois a fourni de fausses informations sur les impôts à payer dans sa déclaration annuelle de revenus, qui exposent le Trésor public à un risque de perte de recettes sur le prélèvement de l'impôt sur le revenu et de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). En vertu du droit national, un tel délit fiscal peut donner lieu à des poursuites aussi bien administratives que pénales, qui peuvent entraîner l’imposition d’une majoration d’impôt ainsi qu’une sanction pénale pour les mêmes faits. Après de premières poursuites administratives, l’intéressé a été appelé à comparaître devant la juridiction pénale. Toutefois, cette dernière a soulevé des doutes quant à la compatibilité d’une réglementation nationale telle que celle en cause avec le principe ne bis in idem consacré à l’article 50 de la charte (c’est-à-dire l’interdiction de punir deux fois un individu pour une même infraction).
La Cour a reconnu sa compétence pour examiner la réglementation nationale à la lumière de l’article 50 de la charte, dans la mesure où les États membres ont l’obligation de prendre toutes les mesures législatives et administratives visant à garantir que la TVA soit intégralement perçue sur leur territoire et à lutter contre la fraude. Cette obligation trouve sa source, en particulier, dans l’article 2, l’article 250, paragraphe 1, et l’article 273 de la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée.
La Cour n’a pas retenu que le fait que la législation nationale n’avait pas été adoptée aux fins de la transposition de cette directive constituait un obstacle à l’application de la charte (en fait, cette directive remonte à une date antérieure à l’adhésion de la Suède à l’Union européenne). Elle a souligné que, quel que soit l’objectif poursuivi par le législateur, les dispositions nationales en question avaient pour effet de permettre l’exécution de l’obligation imposée par le droit européen de sanctionner de manière effective les comportements portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union.
En outre, le fait que la législation nationale ne concerne pas seulement les infractions liées à la TVA n’exclut pas, même dans ce cas, l’application de la charte. La Cour a rappelé que l’article 325 du TFUE oblige les États membres à lutter contre les activités illicites portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union par des mesures dissuasives et effectives, et les oblige en particulier à prendre les mêmes mesures pour combattre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union que celles qu’ils prennent pour combattre la fraude portant atteinte à leurs propres intérêts financiers.
2.5 L’application par une autorité nationale des dispositions de droit de l’Union ou de dispositions nationales qui les mettent en œuvre
L’obligation des États membres de mettre en œuvre le droit de l’Union d’une manière conforme aux droits fondamentaux de l’Union n’incombe pas qu’au législateur: elle s’applique également aux autorités nationales chargées de faire appliquer la loi dans les États membres. Par conséquent, les autorités judiciaires et administratives nationales doivent appliquer (ou interpréter) les normes européennes de manière conforme aux droits fondamentaux de l’Union européenne.
C’est ce qui ressort d’une jurisprudence constante de la Cour de justice, en vertu de laquelle «il incombe aux autorités et aux juridictions des États membres [...] de veiller à ne pas se fonder sur une interprétation [du droit européen ou des dispositions qui le mettent en œuvre] qui entrerait en conflit avec les droits fondamentaux protégés par l’ordre juridique communautaire» (arrêt dans l’affaire C-101/01 Lindqvist, point 87).
Exemples
L’exemple suivant est tiré de l’ordonnance de la Cour de justice du 8 mai 2014, dans l’affaire C-329/13, Stefan.
Les propriétés de M. Stefan ont subi des dégâts considérables à la suite de la crue de la Drau. Il a donc adressé une requête à l’autorité autrichienne compétente afin d’obtenir des informations relatives à la gestion des niveaux de la rivière. La requête a été rejetée au motif que la divulgation des informations demandées pourrait affecter la procédure pénale engagée contre le gardien des écluses de la rivière et compromettre la possibilité pour ce dernier de bénéficier d’un procès équitable.
En vertu de l’article 4, point c), de la directive 2003/4/CE concernant l’accès du public à l’information en matière d’environnement, les États membres sont autorisés à prévoir dans leur législation interne qu’une demande d'informations environnementales peut être rejetée lorsque la divulgation des informations demandées pourrait avoir une influence négative sur la procédure pénale engagée ou compromettre la possibilité pour toutes les personnes concernées d’obtenir un procès équitable.
M. Stefan a alors introduit un recours contre cette décision. La juridiction nationale a estimé que sa demande ne pouvait pas être rejetée sur ce fondement, parce que le législateur autrichien n’avait pas prévu la dérogation facultative évoquée plus haut dans la législation de transposition de la directive.
À cet égard, la juridiction nationale s’est interrogée sur la compatibilité de cette législation avec le droit à un procès équitable tel que garanti par l’article 47, paragraphe 2, de la charte, et a dès lors décidé de poser une question préjudicielle à la Cour de justice. La Cour a rappelé que toutes les autorités des États membres, y compris les organes administratifs et juridictionnels, sont tenues de garantir le respect des règles du droit de l’Union – y compris les droits fondamentaux de l’Union européenne – dans le cadre de leurs compétences. Par conséquent, dans la mesure où le législateur national n’avait pas prévu la dérogation visée à l’article 4, paragraphe 2, premier alinéa, point c), de la directive lors de la transposition de celle-ci dans l’ordre juridique interne, les autorités compétentes pour l’application de la réglementation nationale sont en toute hypothèse tenues de faire usage de la marge d’appréciation qui leur est conférée par cette disposition dans un sens conforme à l’article 47, paragraphe 2, de la charte.
2.6 Les dispositions nationales qui précisent des notions utilisées dans des mesures législatives de l’UE
Les actes de l’Union contiennent parfois une section dans laquelle sont définis certains termes et notions utilisés dans l’acte lui-même. Cela signifie que ces notions et termes ont une signification autonome et uniforme en droit de l’Union; en cas de doute, la Cour de justice a le pouvoir de les interpréter.
À l’inverse, d’autres actes de l’Union font référence à des définitions approuvées par un ou par chaque État membre. Cela signifie que le législateur de l’Union européenne souhaite respecter les différences entre États membres quant au sens et à la portée des notions en question. Néanmoins, la Cour a précisé que l’absence d’une définition autonome en droit de l’Union ne signifie pas que les États membres puissent porter atteinte à la mise en œuvre effective des objectifs fixés par l’acte de l’Union en cause, ni manquer à leur obligation de mettre en œuvre cet acte de manière conforme aux droits fondamentaux de l’Union européenne. Par conséquent, les dispositions nationales qui précisent une notion ou un terme figurant dans un acte législatif européen mettent en œuvre le droit de l’Union au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la charte.
Exemples
L’exemple suivant est tiré de l’arrêt de la Cour de justice du 24 avril 2012, dans l’affaire C-571/10, Kamberaj.
La réglementation d’une province italienne relative à l’octroi d’une aide au logement prévoyait un traitement différent pour les ressortissants de pays tiers titulaires d’un permis de séjour de longue durée et pour les citoyens de l’Union (qu'ils soient italiens ou non) résidant sur le territoire de la province en question. L’allocation des fonds se fondait sur une moyenne pondérée entre l’importance numérique et les besoins des deux groupes (ou des fonds disponibles). Toutefois, alors que pour les ressortissants italiens et les citoyens de l’Union, ces paramètres étaient soumis à un coefficient 1, pour les ressortissants de pays tiers, l’importance numérique était soumise à un coefficient 5 (qui détermine un crédit proportionnellement inférieur à attribuer à cette catégorie.)
M. Kamberaj, un ressortissant de pays tiers résident de longue durée, a formé un recours contre la décision de rejet de sa demande pour l’aide au logement. La juridiction nationale a émis des doutes sur la compatibilité de la loi provinciale avec la directive 2003/119/CE relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée. Après avoir constaté que le mécanisme d’allocation des fonds entraînait une différence de traitement entre les deux catégories, la Cour s’est demandé si la question relevait du champ d’application de l’article 11, paragraphe 1, point d), qui assure l’égalité de traitement entre les citoyens de l’Union et les ressortissants de pays tiers résidents de longue durée en ce qui concerne «la sécurité sociale, l’aide sociale et la protection sociale telles qu’elles sont définies par la législation nationale».
La Cour a fait observer que, par un tel renvoi, le législateur de l’Union a voulu respecter les différences qui subsistent entre les États membres quant à la définition et à la portée exacte des notions en cause. Elle a néanmoins souligné qu’en tout état de cause, les États membres ne sauraient porter atteinte à l’effet utile du principe de l’égalité de traitement tel que prévu par la directive. La Cour a en outre jugé que l’article 11, paragraphe 1, point d), doit être lu à la lumière de l’article 34, paragraphe 3, de la charte, en vertu duquel «l’Union reconnaît et respecte le droit à une aide sociale et à une aide au logement destinées à assurer une existence digne à tous ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, selon les règles établies par le droit de l’Union et les législations et pratiques nationales». Elle a donc conclu qu’il appartenait aux juridictions nationales de vérifier si le bénéfice de l’aide au logement en cause répond à l’objectif visé par l’article 34, paragraphe 3, de la charte. Si tel est le cas, l’aide au logement devrait être considérée comme comprise dans le champ d’application du principe de l’égalité de traitement prévu dans la directive.
2.7 Les dispositions nationales fondées sur une dérogation prévue par le droit de l’UE
Les dispositions du droit de l’Union donnent parfois la possibilité aux États membres de déroger aux obligations qu’elles imposent. L’un des exemples les plus parlants concerne la libre circulation: les traités eux-mêmes, ou la législation européenne qui les met en œuvre, énumèrent les raisons qui peuvent justifier des mesures nationales restrictives à l’égard de la liberté fondamentale relative à la circulation des marchandises, des capitaux et des services, ainsi qu’à l’égard de la libre circulation des citoyens de l’Union. Par exemple, la liberté de circulation des citoyens de l’Union peut être limitée pour des motifs de santé publique, d’ordre public et de sécurité publique, conformément à la directive 2004/38/CE (directive sur la citoyenneté de l’Union européenne). Une mesure nationale restrictive qui s’appuie sur un de ces motifs n’est justifiée que si elle est conforme aux droits fondamentaux de l’Union.
Exemples
L’exemple suivant est tiré de l’arrêt de la Cour de justice du 23 novembre 2010, dans l’affaire C-145/09, Tsakouridis.
La directive 2004/38/CE définit les conditions relatives au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, ainsi que les limitations à ce droit. En ce qui concerne le droit des citoyens de l’Union, la directive met en œuvre l’article 21, paragraphe 1, du TFUE, qui confère le droit susvisé à tous les citoyens européens, «sous réserve des limitations et conditions prévues par les traités et par les dispositions prises pour leur application».
En vertu de l’article 27 de la directive, la liberté de circulation et de séjour d’un citoyen de l’Union résidant dans un autre État membre ne peut être limitée que pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. L’article 28 dispose ensuite que si le citoyen de l’Union a acquis le droit de séjour permanent sur le territoire de l’État membre d’accueil (c’est-à-dire après avoir résidé dans cet État pendant une période ininterrompue de 5 ans), une mesure d’éloignement du territoire ne peut être prise que pour des «motifs graves» de sécurité publique, alors qu’il doit s’agir de «raisons impérieuses» pour les citoyens de l’Union qui ont séjourné dans l’État membre d’accueil pendant les dix années précédentes.
Dans l’affaire Tsakouridis, une juridiction allemande a demandé à la Cour de justice des éclaircissements sur l’interprétation des raisons et motifs susmentionnés, afin de savoir si et dans quelle mesure la criminalité liée au trafic de stupéfiants en bande organisée peut justifier une mesure d’éloignement prise à l’encontre d’un citoyen de l’Union. La Cour a affirmé qu’en principe, de telles infractions peuvent relever du champ d’application de la notion de sécurité publique.
Néanmoins, elle a également rappelé qu’il appartient à la juridiction nationale d’apprécier si, en l’espèce, les conséquences de l’éloignement sont proportionnées à l’objectif légitime poursuivi par cette mesure.
Selon la Cour, il n’est possible d’invoquer des motifs d’intérêt général pour justifier une mesure nationale susceptible d’entraver l’exercice de la libre circulation des citoyens de l’Union que si cette mesure est conforme aux droits fondamentaux, et en particulier au droit au respect de la vie privée et familiale tel que prévu à l’article 7 de la charte. Le juge national devrait dès lors prendre en compte la solidité des liens sociaux, culturels et familiaux du citoyen européen en question avec l’État membre d’accueil.
2.8 Les dispositions nationales affectant directement une matière régie par le droit de l’UE
Dans deux affaires tranchées après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne (les décisions rendues sur les renvois préjudiciels C-555/07, Kücükdeveci, et C-441/14, Dansk Industri), la Cour de justice a appliqué la charte à des dispositions nationales qui appréhendent une matière régie par une directive européenne, et ce même si ces dispositions n’avaient pas été adoptées en vue de transposer la directive (puisqu’elles l’ont précédée) et si elles n’ont pas eu pour effet pratique de la mettre en œuvre (puisqu’elles étaient en effet en conflit avec la directive). Étant donné qu’au moment de la survenance des faits, le délai de transposition de la directive avait expiré et que le cas relevait du champ d’application matériel et personnel de la directive, la charte pouvait s’appliquer.
Exemples
L’exemple suivant est tiré de l’arrêt du 19 janvier 2010 dans l’affaire C-555/07, Kücükdeveci
Mme Kücükdeveci, une employée, a invoqué l’incompatibilité de la directive 2000/78/CE avec l’article 622, paragraphe 2, du Bürgerliches Gesetzbuch (le code civil allemand). Selon cette disposition nationale, le calcul de la période de préavis avant le licenciement ne devrait pas prendre en compte les périodes de travail accomplies avant l'âge de 25 ans. Par conséquent, le délai de préavis de Mme Kücükdeveci avait été calculé comme si elle avait une ancienneté de 3 ans, alors qu’elle avait une ancienneté de 10 ans.
La disposition nationale n’avait été adoptée en vue de transposer la directive (puisqu’elle lui était antérieure) et ne pouvait pas non plus être considérée comme une mesure de nature à produire l’effet concret de mettre en œuvre la directive (au contraire, elle interférait directement avec elle). Après avoir constaté que le comportement prétendument discriminatoire avait eu lieu après la date limite pour la transposition de la directive, la Cour a jugé que «[à] cette date, ladite directive a eu pour effet de faire entrer dans le champ d’application du droit communautaire la réglementation nationale en cause au principal qui appréhende une matière régie par cette directive, à savoir, en l’occurrence, les conditions de licenciement» (point 25).
Ce type de lien a une importance pratique très importante lorsque le litige concerne uniquement des particuliers (c’est-à-dire lorsqu’il est de nature horizontale) et qu’il existe un conflit entre une disposition de droit interne et une disposition contenue dans une directive européenne qui spécifie un droit fondamental de l’UE. Si la disposition de la charte en cause remplit les conditions de l’effet direct (voir la section 2 de la partie II et la section 7 de la partie III), le juge national peut invoquer la charte afin d’écarter les dispositions nationales incompatibles, pour compenser l’absence d’effet horizontal de la directive.
3. Le rôle des sources nationales de protection dans l’application de la charte
Lorsqu’une norme nationale «mettant en œuvre du droit de l’Union» (voir la section 2 de la partie II) est en cause, la charte peut s’appliquer. Toutefois, cela ne signifie pas que les sources nationales de protection – et en particulier, les constitutions – ne jouent aucun rôle.
L’article 53 de la charte dispose qu’: «[a]ucune disposition de la présente Charte ne doit être interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits de l’homme et libertés fondamentales reconnus, dans leur champ d’application respectif, [...] par les constitutions des États membres».
Clairement, lorsque la charte garantit un niveau spécifique de protection, elle prévaudra sur les dispositions constitutionnelles des États membres (voir affaire C-399/11 Melloni). À l’inverse, si la charte ne prévoit pas un niveau spécifique de protection, il convient d’appliquer les règles nationales, sous réserve du respect de deux conditions. En premier lieu, l’application des règles nationales ne doit pas compromettre le niveau de protection prévu par la charte. En second lieu, il convient de garantir «la primauté, l’unité et l’effectivité» du droit de l’Union. Voir, à titre d’exemple, les arrêts rendus à la suite des renvois préjudiciels C-168/13 PPU, Jeremy F, et C-617/10, Åkerberg Fransson.
Lorsqu’il existe un doute quant au respect de ces deux conditions, les juridictions nationales sont habilitées à effectuer un renvoi préjudiciel en demandant à la Cour de justice d’émettre un avis sur l’interprétation des règles pertinentes du droit de l’Union.
4. La distinction entre «droits» et «principes»
Comme nous l’avons déjà vu à la section 3 de la partie I, les droits fondamentaux de l’Union européenne agissent en tant que paramètres d’interprétation et de validité des actes pris par les institutions, organes et organismes de l’Union. En outre, ils constituent des critères de compatibilité avec le droit de l’Union des actes nationaux relevant de son champ d’application.
L’article 52, paragraphe 5, de la charte est libellé comme suit: «Les dispositions de la présente Charte qui contiennent des principes peuvent être mises en œuvre par des actes législatifs et exécutifs pris par les institutions, organes et organismes de l’Union, et par des actes des États membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union, dans l’exercice de leurs compétences respectives. Leur invocation devant le juge n’est admise que pour l’interprétation et le contrôle de la légalité de tels actes».
En d’autres termes, l’article 52, paragraphe 5, établit un régime de contrôle juridictionnel limité des dispositions de la charte qui contiennent des «principes» plutôt que des «droits». Cela ressort clairement de l’explication correspondante: «Le paragraphe 5 clarifie la distinction entre "droits" et "principes" faite dans la Charte. En vertu de cette distinction, les droits subjectifs doivent être respectés, tandis que les principes doivent être observés (article 51, paragraphe 1). Les principes peuvent être mis en œuvre par le biais d’actes législatifs ou exécutifs (adoptés par l’Union dans le cadre de ses compétences et par les États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union); ils acquièrent donc une importance particulière pour les tribunaux seulement lorsque ces actes sont interprétés ou contrôlés. Ils ne donnent toutefois pas lieu à des droits immédiats à une action positive de la part des institutions de l’Union ou des autorités des États membres».
Toutefois, l’identification du champ d’application et des effets de l’article 52, paragraphe 5, de la charte pose certains problèmes.
En ce qui concerne le champ d’application, il n’existe pas de liste des «principes» contenus dans la charte. L’explication de l’article 52, paragraphe 5, fournit seulement quelques exemples. En outre, elle souligne que certaines des dispositions de la charte contiennent des éléments relevant à la fois d’un «droit» et d’un «principe»: «À titre d'illustration, citons, parmi les exemples de principes reconnus dans la Charte, les articles 25 (droits des personnes âgées), 26 (intégration des personnes handicapées) et 37 (protection de l'environnement). Dans certains cas, un article de la Charte peut contenir des éléments relevant d'un droit et d'un principe: par exemple, les articles 23 (égalité entre femmes et hommes), 33 (vie familiale et vie professionnelle) et 34 (sécurité sociale et aide sociale)».
En ce qui concerne les effets, les «principes» ne peuvent pas être invoqués directement par les particuliers pour empêcher l’application des dispositions nationales contraires (voir la section 1 de la partie II et la section 7).
Il n’est pas sûr que l’on puisse se fonder sur les «principes» en tant que paramètres d’interprétation et de validité de tout acte de l’Union ou de tout acte national relevant du champ d’application de la charte, ou, plutôt, de tout acte de l’Union ou acte national destiné à mettre en œuvre ces «principes». À ce jour, la Cour de justice n’a fait référence à l’article 52, paragraphe 5, que dans l’affaire C-356/12, Glatzel, portant sur l’article 26 de la charte relatif à l’«intégration des personnes handicapées». Toutefois, la Cour n’a donné aucune réponse définitive sur les aspects problématiques décrits ci-dessus.
Les doutes quant aux effets juridiques des principes de la charte peuvent être éclaircis en saisissant la Cour de justice d’une demande de décision préjudicielle.
5. L’interprétation des droits fondamentaux garantis par la charte: les explications
Afin de déterminer la protection des droits fondamentaux garantis par la charte, il est utile de consulter les explications relatives à la charte des droits fondamentaux.
En vertu de l’article 52, paragraphe 7, de la charte, les explications ont été «élaborées en vue de guider l’interprétation de la présente Charte [et] sont dûment prises en considération par les juridictions de l’Union et des États membres».
En particulier, les explications doivent indiquer la ou les sources d’inspiration de chaque droit fondamental prévu par la charte: à titre d’exemple, la CEDH, la Charte sociale européenne ou les traditions constitutionnelles communes des États membres.
Cette indication est d’autant plus importante que le titre VII de la charte définit des règles d’interprétation spécifiques, qui varient en fonction de la source d’inspiration du droit fondamental concerné. En particulier, des règles d’interprétation spécifiques sont prévues pour les dispositions de la charte qui reconnaissent des droits correspondant aux droits garantis par la CEDH et pour celles qui reconnaissent les droits fondamentaux tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres (voir les articles 52, paragraphes 3 et 4, de la charte et les explications correspondantes).
5.1 Les droits correspondants dans la charte et dans la CEDH
L’article 52, paragraphe 3, de la charte précise: «Dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la [CEDH], leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l'Union accorde une protection plus étendue».
En d’autres termes, la CEDH constitue un standard minimal de protection lorsqu’il s’agit de «droits correspondants». En conséquence, tous les actes juridiques de l’Union et toutes les règles nationales qui mettent en œuvre le droit de l’Union doivent garantir un niveau de protection des droits correspondants conforme à la CEDH. En cas de doute, il pourrait être utile de saisir la Cour d’un renvoi préjudiciel (sur la validité ou l’interprétation des dispositions du droit de l’Union pertinentes, selon les circonstances).
L’explication officielle de l’article 52, paragraphe 3, fournit quelques indications permettant d’identifier les droits correspondants: elle contient deux listes, contenant respectivement les articles de la charte «dont le sens et la portée sont les mêmes que les articles correspondants de la CEDH» ou «dont le sens est le même que les articles correspondant de la CEDH, mais dont la portée est plus étendue».
Ces deux listes ne sont pas exhaustives: elles reflètent l’état actuel de l’évolution du droit, «sans que cela exclue l’évolution du droit, de la législation et des traités». En effet, il est possible d’identifier plusieurs droits correspondants supplémentaires.
Par exemple, l’explication de l’article 49, paragraphe 1, de la charte affirme que cette disposition correspond à l’article 7, paragraphe 1, de la CEDH, à l’exception de la règle de la rétroactivité de la loi pénale plus douce, qui figure dans la dernière partie de la disposition de la charte. Dans son arrêt de 2009 Scoppola contre Italie (n° 2) la Cour de Strasbourg, en faisant référence à l’article 49, paragraphe 1, de la charte, a interprété l’article 7, paragraphe 1, de la CEDH comme comprenant aussi le principe de la rétroactivité de la loi pénale plus douce.
L’explication relative à l’article 52, paragraphe 3, de la charte fournit quelques informations supplémentaires utiles:
- le sens et la portée des droits correspondants doivent être déterminés en prenant dûment en considération le texte de la CEDH et de ses protocoles, tels qu’il est interprété par la Cour européenne des droits de l’homme;
- lorsque les droits correspondants de la CEDH admettent des limitations, celles-ci doivent également être prises en compte lors de l’interprétation de la charte;
- de même, si les droits de la CEDH n’admettent pas de limitations, les droits correspondants de la charte ne peuvent pas non plus être limités.
5.2 Le rôle des traditions constitutionnelles communes
L’article 52, paragraphe 4, de la charte est libellé comme suit:
«Dans la mesure où la présente Charte reconnaît des droits fondamentaux tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, ces droits doivent être interprétés en harmonie avec lesdites traditions».
L’explication correspondante souligne que "[l]a règle d’interprétation figurant au paragraphe 4 est fondée sur le libellé de l’article 6, paragraphe 3, du traité sur l’Union européenne et tient dûment compte de l’approche suivie par la Cour de justice à l’égard des traditions constitutionnelles communes (par exemple, l’arrêt rendu le 13 décembre 1979 dans l'affaire 44/79, Hauer, rec. 1979, p. 3727; l’arrêt rendu le 18 mai 1982 dans l'affaire 155/79, AM&S, rec.1982, p. 1575). Selon cette règle, plutôt que de suivre une approche rigide du "plus petit dénominateur commun", il convient d’interpréter les droits en cause de la Charte d’une manière qui offre un niveau élevé de protection, adapté au droit de l’Union et en harmonie avec les traditions constitutionnelles communes».
À la différence de l’explication relative à l’article 52, paragraphe 3, celle relative à l’article 52, paragraphe 4, n’énumère pas les droits fondamentaux de la charte qui résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres. Certaines indications à cet égard sont contenues dans les explications relatives aux dispositions essentielles de la charte. Par exemple, l’explication relative à l’article 20 sur l’«égalité en droit» se lit comme suit: «Cet article correspond au principe général de droit qui est inscrit dans toutes les constitutions européennes et que la Cour a jugé être un principe fondamental du droit communautaire (arrêt du 13 novembre 1984, Racke, aff. 283/83, rec. 1984, p. 3791, arrêt du 17 avril 1997, aff. 15/95, EARL, rec. 1997, p. I-1961 et arrêt du 13 avril 2000, aff. 292/97, Karlsson, rec. 2000, p. 2737).»
Selon toute vraisemblance, la portée de l’article 52, paragraphe 4, de la charte comprend davantage de dispositions que celles qui, sur la base de l’explication, reflètent les traditions constitutionnelles des États membres. En particulier, il est utile de prendre en compte la jurisprudence relative aux principes généraux du droit de l’Union (voir la section 2.3 de la partie I), dans la mesure où la Cour de justice s’est inspirée des traditions constitutionnelles des États membres pour établir et interpréter ces principes.
Les effets de la règle d’interprétation visée à l’article 52, paragraphe 4, de la charte ne sont pas clairs. À ce jour, aucune décision de la Cour de justice n’a fourni d’éclaircissements sur ce point. Toutefois, il est clair qu’il n’existe pas de règle de protection maximale: il n’existe aucune indication que le champ de la protection accordée par la charte corresponde automatiquement à celui de la constitution de l’État membre qui offre le niveau de protection le plus élevé. En revanche, il est constant que «l’interprétation de ces droits fondamentaux [doit être] assurée dans le cadre de la structure et des objectifs de l’Union» (avis 2/13, point 170). Cette structure englobe le respect des traditions constitutionnelles des États membres.
6. Quand les droits fondamentaux prévus par la charte peuvent-ils être limités?
L’article 52, paragraphe 1, de la charte définit les conditions de recevabilité des limitations à l’exercice des droits fondamentaux de la charte: «Toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui».
Même si l’article 52, paragraphe 1, de la charte ne le mentionne pas expressément, certains droits fondamentaux ont un caractère absolu: ceux-ci ne peuvent souffrir aucune limitation. Étant donné que la CEDH opère comme un standard minimal de protection, en vertu de l’article 52, paragraphe 3, de la charte (voir la section 5.1), les droits fondamentaux pouvant être qualifiés d’absolus au sens de la CEDH (tels que le droit à la vie ou l’interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants) n’admettent eux non plus pas de limitations conformément aux dispositions de la charte.
Afin de vérifier la recevabilité d’une limitation des droits fondamentaux prévus la charte, il est nécessaire de se poser les questions suivantes:
- le droit fondamental en question admet-il des limitations?
- dans l’affirmative, cette limitation respecte-t-elle le contenu essentiel du droit fondamental?
- dans l’affirmative, cette limitation répond-elle effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union européenne? à titre subsidiaire, sert-elle au besoin de protection des droits et libertés d’autrui?
- dans l’affirmative, la limitation est-elle proportionnée? (cela signifie qu’elle doit être appropriée à l’objectif poursuivi)
- dans l’affirmative, la limitation est-elle nécessaire? (cela signifie qu’elle doit atteindre l’objectif poursuivi sans causer plus d’interférences que nécessaire avec le droit fondamental en question).
Certaines indications utiles sur les modalités selon lesquelles cette appréciation doit être réalisée sont fournies à l’annexe IV des lignes directrices du Conseil relatives à la méthodologie à suivre afin de vérifier la compatibilité avec les droits fondamentaux au sein de ses instances préparatoires, élaborées par le Conseil de l’Union européenne en 2014.
En ce qui concerne la jurisprudence de la Cour de justice, l’arrêt dans l’affaire C-92/09, Volker und Markus Schecke, offre une illustration claire de l’application concrète du critère prévu à l’article 52, paragraphe, 1, de la charte.
7. Les effets de la charte au niveau national
Lorsqu’une mesure à caractère national est en conflit avec la charte, le juge national doit vérifier, avant tout, si la mesure en cause peut être interprétée conformément à la charte (I). Si cela n’est pas possible, il doit alors déterminer si la disposition de la charte de l’Union européenne concernée remplit les conditions requises pour produire un effet direct (II). En fin de compte, toute victime d’une violation d’un droit fondamental peut poursuivre l’État membre concerné pour les dommages causés (III). Une illustration des conditions et des limites propres aux trois voies de protection énumérées ci-dessus, ainsi que de l’ordre logique dans lequel elles doivent être suivies, est fournie par l’arrêt rendu dans l’affaire C-441/14, Dansk Industri (DI).
I — L’interprétation du droit national conformément au droit de l’UE
Afin de résoudre le conflit, les juridictions nationales doivent prendre en considération l’ensemble des normes de droit interne et appliquer les critères d’interprétation reconnus par ces normes. Si possible, elles doivent interpréter les dispositions nationales concernées à la lumière du texte et de la finalité des dispositions de droit de l’Union pertinentes pour l’affaire en cause.
Par exemple, dans l’affaire C-149/10, Chatzi, née d’un renvoi préjudiciel, un tribunal grec a demandé à la Cour de justice de clarifier le sens de l’article 2, paragraphe 2, de l’accord-cadre sur le congé parental (figurant dans une annexe de la directive 96/34/CE) à la lumière de l’article 24 de la charte (droits de l’enfant). La juridiction de renvoi a émis des doutes quant à la compatibilité de la législation nationale de mise en œuvre de l’accord avec la charte, en ce qu’elle n’accorde aux mères de jumeaux qu’un seul congé parental.
La Cour de justice a affirmé que la mesure à caractère national n’était pas en conflit avec l’article 24 de la charte. Toutefois, elle a estimé qu’afin de garantir le respect du principe d’égalité devant la loi prévu à l’article 20 de la charte, les États membres doivent prendre les mesures nécessaires pour tenir dûment compte de la situation des parents d’enfants jumeaux. En effet, cette situation est différente de celle des parents d’enfants uniques ou de celle des parents d’enfants présentant une faible différence d’âge (qui peuvent donc bénéficier de différentes périodes de congé parental).
En conséquence, la Cour de justice a répondu à la question posée par le juge grec dans les termes suivants: «[l’accord-cadre], lu à la lumière du principe d’égalité de traitement, [...] impose au législateur national de mettre en place un régime de congé parental qui, en fonction de la situation existante dans l’État membre concerné, assure aux parents de jumeaux un traitement qui tienne dûment compte de leurs besoins particuliers. Il appartient au juge national de vérifier si la réglementation nationale répond à cette exigence et, le cas échéant, de donner à ladite réglementation nationale, dans toute la mesure du possible, une interprétation conforme au droit de l’Union».
II – L’effet direct des droits fondamentaux de la charte et l’inapplicabilité des dispositions nationales conflictuelles
Selon une jurisprudence constante de la Cour, les dispositions du droit de l’Union claires, précises et inconditionnelles sont susceptibles d’être invoquées par des personnes physiques et morales devant les juridictions nationales afin d’invoquer l’inapplicabilité de règles nationales incompatibles. Ce principe est connu comme l’effet direct du droit de l’Union. Il peut être horizontal ou vertical, selon qu’il est invoqué dans le cadre d’un litige entre une personne physique ou morale et un État membre (effet direct vertical), ou dans les litiges entre particuliers (effet direct horizontal).
Il convient de rappeler qu’aux fins de l’effet direct vertical, la Cour de justice a reconnu une notion large d’«État», qui englobe le pouvoir législatif, exécutif et judiciaire, ainsi que toute autorité publique centrale et locale. Elle s’étend également à un «organisme qui, quelle que soit sa forme juridique, a été chargé en vertu d’un acte de l’autorité publique d’accomplir, sous le contrôle de cette dernière, un service d’intérêt public et qui dispose, à cet effet, de pouvoirs exorbitants par rapport aux règles applicables dans les relations entre particuliers» (voir, par exemple, l’arrêt C-282/10, Dominguez).
Dans l’arrêt rendu dans l’affaire C-176/12, Association de médiation sociale (AMS), la Cour de justice a affirmé que dans certaines circonstances, la charte pourrait avoir un effet direct horizontal. Elle a conclu que le principe de non-discrimination fondée sur l’âge, consacré à l’article 21, paragraphe 1, de la charte, a eu un effet direct horizontal et pourrait être invoqué directement pour écarter une disposition nationale incompatible, parce qu’il «se suffit à lui-même pour conférer aux particuliers un droit subjectif invocable en tant que tel».
Les observations suivantes peuvent être formulées sur la base de l’affaire AMS:
- un conflit entre le droit interne et la charte conduit à écarter l’application du premier dans la mesure où les dispositions de cette dernière sont suffisantes à elles seules pour conférer un droit subjectif invocable en tant que tel (c’est-à-dire sans qu’il soit nécessaire d’adopter de mesures d’exécution au niveau du droit de l’Union ou du droit national);
- dans ces circonstances, l’effet direct de la disposition de la charte peut être invoqué non seulement verticalement, mais aussi dans le cadre d’une procédure horizontale (comme cela a été fait dans l’affaire AMS);
- l’article 21, paragraphe 1, de la charte remplit les conditions pour produire un effet direct, au moins en ce qui concerne la non-discrimination en fonction de l’âge. Toutefois, il en va vraisemblablement de même pour les autres motifs susceptibles de non-discrimination mentionnés par cette disposition;
- l’article 27 de la charte sur le droit des travailleurs à l’information et à la consultation au sein de l’entreprise n’a pas le moindre effet direct: la Cour l’a exclu dans son arrêt AMS;
- si le litige porte sur une autre disposition de la charte, il pourrait être utile de demander à la Cour de justice de préciser si celle-ci répond au critère AMS (bien que les juridictions nationales dont les décisions ne sont pas finales ne soient pas tenues d’y faire référence).
III — L’action en dommages et intérêts contre un État membre pour violation du droit de l’Union européenne
Lorsqu’il n’est pas possible d’interpréter le droit national d’une manière conforme aux dispositions applicables du droit de l’UE, et que ces dernières ne satisfont pas aux conditions de l’effet direct, la personne ayant subi un préjudice en raison de la violation du droit de l’Union par un État membre peut exiger que ce dernier répare les dommages subis.
Bien que l’action en indemnité doive être introduite devant une juridiction nationale, sur la base des règles de procédure nationales applicables à de telles procédures, les conditions à remplir sont fixées de manière uniforme par le droit de l’Union; en outre, ces règles de procédure doivent en toute hypothèse être compatibles avec le droit à la protection juridictionnelle effective prévu à l’article 47 de la charte, ainsi qu’avec les principes d’effectivité et d’équivalence, tels qu’ils ont été dégagés par la Cour de justice. En cas de doutes quant à la compatibilité de la réglementation nationale avec les critères de droit de l’Union que nous venons de citer, le juge national pourra former un renvoi préjudiciel devant la Cour de justice (voir, à cet égard, l’arrêt né du renvoi préjudiciel C-279/09, DEB).
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