Ordonnance en matière commerciale IIe N° 1626/09
Audience publique tenue le mercredi, vingt-trois décembre deux mille neuf, à neuf heures, par Nous Nathalie HILGERT, juge, en remplacement de Madame le 1er vice-président du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, présidant la chambre commerciale du tribunal d’arrondissement de Luxembourg, dûment empêchée, assistée du greffier Mireille REMESCH.
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Dans la cause
e n t r e :
le sieur Jeannot KRECKE, Ministre ayant la protection des consommateurs dans ses attributions, demeurant professionnellement à L-2914 Luxembourg, 19-21, boulevard Royal ;
demandeur, comparant par Madame Beryl BRUCK et Madame Marie-Josée RIES, munies d’une procuration écrite,
e t :
la société à responsabilité limitée be2 s.à r.l., établie et ayant son siège social à L-1466 Luxembourg, 12, rue Jean Engling, représentée par son gérant actuellement en fonctions,
inscrite au Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le numéro B 123 206 ;
défenderesse, comparant par Maître Gaston STEIN, avocat, demeurant à Luxembourg.
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Vu les requête, ordonnance et exploit d’assignation ci-après annexés.
Après avoir entendu en Nos audiences des 23 novembre 2009 et 7 décembre 2009 les mandataires des parties en leurs conclusions.
Nous avons rendu à l’audience publique de ce jour
l’ o r d o n n a n c e qui suit :
Suivant requête du 11 novembre 2009 et ordonnance du 11 novembre 2009, signifiées à la société à responsabilité limitée be2 s.à r.l., ensemble avec l’exploit d’assignation du 13 novembre 2009, Monsieur le Ministre ayant la protection des consommateurs dans ses attributions (ci-après « le Ministre ») demande à voir constater le caractère abusif de l’article VI paragraphes 1 et 2, de l’article VIII paragraphe 1, de l’article XI paragraphes 2, 3 et 5, de l’article XVI et de l’article XVII dernier paragraphe des conditions générales d’utilisation de la société be2 s.à r.l. et de les voir déclarer nuls et non écrits sur base de la loi du 25 août 1983 relative à la protection juridique du consommateur. Il demande encore à ordonner toute mesure destinée à faire cesser les actes contraires aux articles 5 et 53 paragraphe 1 de la loi du 14 août 2000 relative au commerce électronique et à voir ordonner à la société be2 d’indiquer de manière précise, claire et non équivoque les prix sur son site internet.
Il demande finalement la publication de la présente ordonnance ainsi que la condamnation de be2 au paiement d’une astreinte de 1.000,- EUR par infraction constatée ou par document non conforme et d’une indemnité de procédure de 2.500,- EUR sur base de l’article 240 du Nouveau Code de procédure civile.
A l’appui de sa demande, le Ministre fait exposer que la société be2 offre à ses clients un accès à sa base de données et ses applications et leur propose de passer différents tests sur son site internet www.be2.fr afin de leur permettre de faire la connaissance avec leur « partenaire idéal pour la vie », que de nombreux clients se sont plaints concernant les pratiques de la société be2 et que les articles précités des conditions générales sont à considérer comme abusifs au sens de la loi modifiée du 25 août 1983 relative à la protection juridique du consommateur.
Quant à la loi modifiée du 14 août 2000 relative au commerce électronique, le Ministre précise que l’article 53 paragraphe 1 de cette loi dispose que le prestataire de services de la société de l’information doit fournir certaines informations aux consommateurs dont celle sur « le prix du bien ou du service, toutes taxes comprises » et celle sur « les modalités de paiement », qu’aux termes de son article 5, la même loi impose d’indiquer de manière précise et non équivoque le prix et les conditions de vente ou de réalisation de la prestation, qu’il résulte des plaintes reçues que le montant total d’un abonnement de trois, six ou douze mois est débité dès le premier mois sans que cette information ne soit clairement indiquée sur le site internet mais qu’il appartient au consommateur de cliquer sur un petit « i » pour la trouver.
La demande est basée sur les articles 5 de la loi relative à la protection juridique du consommateur et 71-1 de la loi relative au commerce électronique.
A l’audience de plaidoiries du 7 décembre 2009, la société be2 fait expliquer que dès début octobre 2009, elle avait mandaté un cabinet d’avocats français pour revoir et adapter au droit français les conditions générales, qu’elle a procédé à une refonte totale de ses conditions générales afin de tenir compte des reproches de la partie demanderesse, que la nouvelle version de ses conditions générales est entrée en vigueur à compter du 30 novembre 2009 et est en ligne depuis l’après-midi du 7 décembre 2009.
La société be2 invoque l’irrecevabilité de la demande et fait plaider que les articles des conditions générales incriminés et visés par l’assignation n’existent plus dans la même forme étant donné qu’ils ont été modifiés dans le sens voulu par le Ministre. La demande telle que formulée par le dispositif de l’assignation ne peut dans ces circonstances être vidée et si le Ministre estime que la nouvelle version des conditions générales contient toujours des articles à qualifier d’abusifs, il lui est loisible d’introduire une nouvelle demande en justice.
La défenderesse soulève encore l’irrecevabilité de la demande, sinon demande à la voir déclarer non fondée, en ce qu’elle est exclusivement basée sur le droit luxembourgeois alors que le droit français est applicable conformément à la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles et plus particulièrement à son article 5. Elle fait encore valoir que le siège de la société constitue le seul lien avec le Grand-Duché de Luxembourg et que, selon la théorie du « public visé », seul le droit français a vocation à trouver application en l’espèce. La partie défenderesse réitère pour le reste l’argument selon lequel l’acte incriminé n’existe plus et que le résultat escompté, à savoir l’annulation des dispositions jugées abusives, est déjà atteint par la refonte de ses conditions générales.
En relation avec les reproches de violation de la loi relative au commerce électronique, la société be2 fait état du pourcentage minime de plaintes reçues en comparaison avec le nombre de ses adhérents s’élevant à quelques seize millions. Elle fait également valoir que l’indication du prix de son service est suffisamment précise et non équivoque et dès lors non contraire à la loi. En effet, elle précise que sur la page internet relative au paiement des services par carte bancaire le montant total du prix d’un abonnement de six mois est indiqué clairement et que l’information relative au prix est à tout moment accessible en cliquant sur le petit bouton intitulé « i », de sorte que les clients ne sont nullement induits en erreur. Selon la défenderesse, les sites internet de ses concurrents ne sont d’ailleurs pas plus clairs et elle ne saurait être contrainte à calquer son site sur les pratiques de ses concurrents. Elle s’oppose, dans un souci de proportionnalité, à une éventuelle publication de la présente ordonnance et s’engage, dans l’hypothèse d’une condamnation, à l’exécuter immédiatement de sorte qu’une publication est superflue. Elle demande également à voir déclarer non fondée la demande d’astreinte, qualifiée de disproportionnée par rapport à l’enjeu du litige. A titre subsidiaire, elle demande à se voir accorder un délai de cinq semaines pendant lequel l’astreinte ne peut être encourue, en application de l’article 2060 alinéa 3 du Code civil. La société be2 conteste finalement l’indemnité de procédure réclamée tant en son principe qu’en son quantum au motif que l’introduction de demandes relevant de ses compétences fait partie des attributions naturelles du Ministre.
Quant au volet de la demande basée sur la loi relative à la protection juridique du consommateur, il y a lieu de constater que les conditions générales de la société be2 ont été complètement modifiées non seulement quant à la numérotation des articles mais également quant à leur contenu. Cette refonte totale des conditions générales a entraîné la suppression, respectivement la modification substantielle des articles qualifiés d’abusifs par le Ministre. Dans ces circonstances, la demande telle que formulée dans le dispositif de la requête et de l’assignation et tendant à voir constater le caractère abusif des articles VI paragraphes 1 et 2, VIII paragraphe 1, XI paragraphes 2, 3 et 5, XVI et XVII dernier paragraphe des conditions générales est devenue sans objet.
Quant au volet de la demande basée sur la loi relative au commerce électronique, la défenderesse fait plaider que le présent litige est régi par le droit français conformément à la Convention de Rome. Face à cet argument, le demandeur réplique à juste titre que tant la loi relative au commerce électronique que la directive 2000/31 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (ci-après « la Directive ») prévoient le principe du pays d’origine. En effet, aux termes de l’article 3 paragraphe 1 de la Directive, chaque Etat membre veille à ce que les services de la société de l’information fournis par un prestataire établi sur son territoire respectent les dispositions nationales applicables dans cet Etat membre relevant du domaine coordonné. En application de ce principe, l’article 2 (4) de la loi relative au commerce électronique dispose que la loi du lieu d’établissement du prestataire de services de la société de l’information s’applique aux prestataires et aux services qu’ils prestent.
S’il est vrai que le principe du contrôle du pays d’origine ne s’applique pas, selon l’article 3 paragraphe 3 de la Directive, aux obligations contractuelles concernant les contrats conclus par les consommateurs, respectivement qu’il s’applique, selon les termes de l’article 2(4) de la Loi, sans préjudice de la liberté des parties de choisir le droit applicable à leur contrat, il reste que le présent litige se meut dans un contexte précontractuel. Les obligations légales dont la violation est actuellement reprochée à la défenderesse existent indépendamment de toute conclusion de contrat. En effet, non seulement les destinataires des services mais également les autorités compétentes, qui ne concluent d’ailleurs pas de contrat avec le prestataire de service, doivent avoir accès aux informations prévues à l’article 5 de la loi relative au commerce électronique. De plus, l’article 53 de la loi relative au commerce électronique impose aux prestataires de services de la société de l’information de fournir au consommateur « en temps utile avant la conclusion du contrat » un certain nombre d’informations notamment sur le prix du bien et sur les modalités de paiement. Le présent litige n’a dès lors pas trait aux obligations assumées par la société be2 dans le cadre de ses relations contractuelles avec ses abonnés. Au contraire, il convient d’apprécier si la défenderesse, qui est établie au Grand-Duché de Luxembourg, respecte les dispositions légales luxembourgeoises qui s’imposent à elle conformément à la règle du pays d’origine.
Le moyen tiré de l’application de la loi française est partant à rejeter.
Aux termes de l’article 5 de la Loi relative au commerce électronique, « lorsque les services de la société de l’information font mention de prix et conditions de vente ou de réalisation de la prestation, ces derniers doivent être indiqués de manière précise et non équivoque. Il doit aussi être indiqué si toutes les taxes et frais additionnels sont compris dans ce prix ».
L’article 53 impose aux prestataires l’obligation de fournir au consommateur en temps utile avant la conclusion du contrat et « de manière claire et compréhensible » des informations relatives au « prix du bien ou du service, toutes taxes comprises » ainsi qu’aux « modalités de paiement ».
Le Ministre reproche à la société be2 de ne pas indiquer assez clairement, contrairement à ses concurrents, que le prix total d’un abonnement de plusieurs mois est débité dès le premier mois.
La société défenderesse estime être en conformité avec les exigences légales en ce qu’elle met à la disposition des intéressés une icône « i » contenant les informations requises et en ce qu’elle informe les futurs abonnés des modalités de paiement avant que le contrat ne soit conclu.
Il résulte des pièces versées et notamment des captures d’écran du site internet de la société défenderesse que le potentiel Membre Premium a le choix de sélectionner un forfait de trois mois au prix de 39,90 EUR par mois, de six mois au prix de 29,90 EUR par mois ou de neuf mois au prix de 29,90 EUR par mois. Le futur Membre Premium a la possibilité de cliquer sur une petite icône appelée « i » l’informant que le montant total de l’abonnement sera payé par un versement. Ce n’est finalement qu’à la page suivante, à un moment où le futur abonné payant est invité à indiquer ses coordonnées bancaires, qu’il est informé en petits caractères que le montant total d’un abonnement de six mois revient à 179,40 EUR. Il n’est par contre pas expressément informé que ce montant total est débité dès le premier mois.
La Cour de Justice des Communautés Européennes a retenu dans le cadre de l’interprétation de l’article 5 paragraphe 1 c) de la Directive, que cette dernière entend garantir la protection des intérêts des consommateurs qui doit être assurée à tout stade des contacts entre le prestataire de services et les destinataires du service et que les informations communiquées par le prestataire permettent aux destinataires du service d’apprécier la portée de leur futur engagement en leur évitant certains risques d’erreurs pouvant aboutir à la conclusion d’un contrat désavantageux (C.J.C.E., 16 octobre 2008, C-298/07, paragraphes 22 et 23).
En l’espèce, l’indication du seul prix mensuel, sans précision relative au montant total de l’abonnement, ni au paiement du montant total en une fois dès le premier mois, ne répond pas au souci de mettre à la disposition des destinataires des informations claires, précises et non équivoques. En effet, s’il est encore facilement calculable qu’un prix mensuel de 29,90 EUR pour un abonnement de six mois correspond à un prix total de 179,40 EUR, le fait que ce montant total est débité dès le premier mois ne peut raisonnablement être anticipé, d’autant plus que rien ne s’opposerait a priori à débiter le prix de l’abonnement mensuellement de la carte de crédit.
Ces informations doivent être accessibles au destinataire, conformément à l’article 53 paragraphe 2 de la loi, « à tout stade de la transaction », de sorte qu’il ne suffit pas de les mettre à disposition des intéressés au moyen d’une icône qui, de surcroît, risque, au vu de sa taille, de passer complètement inaperçue.
Le fait que l’information est disponible, du moins en partie, sur la page consacrée au paiement par carte bancaire, ne répond pas aux exigences posées par l’article 53 paragraphe 1 de la loi en vertu duquel les informations doivent être fournies au consommateur en temps utile avant la conclusion du contrat. En l’espèce, elles ne sont fournies qu’au dernier moment avant la conclusion du contrat, après que l’intéressé ait déjà entrepris toutes les démarches afin de devenir Membre Premium. Il ne lui est ainsi pas possible de comparer objectivement toutes les offres similaires existant sur le marché. Par ailleurs, l’information que le montant total est débité entièrement dès le premier mois n’est pas du tout donnée expressément, le site ne précisant pas à quel moment le montant total de l’abonnement est débité.
Dans ces circonstances, il y a lieu de retenir que la société be2 viole les articles 5 paragraphe 2 et 53 paragraphe 1 de la loi relative au commerce électronique.
Conformément à l’article 71-1 de la même loi, il convient d’ordonner à la société be2 d’indiquer sur son site internet www.be2.fr, dès la page consacrée à ses tarifs et tout au long de la procédure d’affiliation dite « Accès Premium », que le montant total d’un abonnement portant sur plusieurs mois est débité intégralement le premier mois de l’abonnement.
Etant donné que la mesure ordonnée oblige la société défenderesse à effectuer un certain nombre de démarches au niveau de son site internet, il y a lieu de lui accorder un délai d’un mois à partir de la signification de la présente ordonnance.
Il n’y a pas lieu de faire droit à la demande tendant à la publication de la présente ordonnance qui est suffisante en elle-même pour mettre fin aux violations constatées et dont la publication est disproportionnée par rapport à l’impact public de ces violations.
La demande du Ministre en allocation d’une indemnité de procédure sur base de l’article 240 du Nouveau Code de procédure civile n’est pas fondée alors qu’il reste en défaut de préciser les sommes exposées par lui qui ne sont pas comprises dans les dépens. Par ailleurs, tant la loi relative à la protection juridique du consommateur que celle relative au commerce électronique lui donnent expressément le droit de lancer des procédures judiciaires, de sorte que la présente demande relève des attributions naturelles du Ministre et ne saurait justifier l’allocation d’une indemnité de procédure.
P a r c e s m o t i f s :
Nous Nathalie HILGERT, juge, siégeant en remplacement de Madame le 1er vice-président du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, présidant la chambre commerciale du tribunal d’arrondissement de Luxembourg, dûment empêchée, statuant contradictoirement, dans le cadre de l’article 5 de la loi modifiée du 25 août 1983 relative à la protection juridique du consommateur et de l’article 71-1 de la loi modifiée du 14 août 2000 relative au commerce électronique,
déclarons la demande recevable en la forme ;
disons que la demande tendant à voir déclarer les articles VI paragraphes 1 et 2, VIII paragraphe 1, XI paragraphes 2, 3 et 5, XVI et XVII dernier paragraphe des conditions générales d’utilisation de la société à responsabilité limitée be2 s.à r.l. abusifs et comme tels nuls et non écrits est devenue sans objet ;
ordonnons à la société à responsabilité limitée be2 s.à r.l. d’indiquer sur son site internet www.be2.fr, dès la page consacrée à ses tarifs et tout au long de la procédure d’affiliation dite « Accès Premium », que le montant total d’un abonnement portant sur plusieurs mois est débité intégralement le premier mois de l’abonnement et ce à compter d’un délai d’un mois à partir de la signification de la présente ordonnance, sous peine d’une astreinte de 500,- EUR par jour de retard dûment constaté ;
disons qu’il n’y a pas lieu à publication de la présente ordonnance ;
déboutons le Ministre ayant la protection des consommateurs dans ses attributions de sa demande en allocation d’une indemnité de procédure sur base de l’article 240 du Nouveau Code de procédure civile ;
condamnons la société à responsabilité limitée be2 s.à r.l. aux frais et dépens de l’instance ;
disons que la présente ordonnance est exécutoire à titre provisoire et sans caution.