Arrêt référé commercial
Audience publique du treize juin deux mille sept.
Numéro 31827 du rôle.
Composition :
Andrée WANTZ, présidente de chambre;
Carlo HEYARD, premier conseiller;
Annette GANTREL, conseillère;
Marcel SCHWARTZ, greffier.
E n t r e :
l’association sans but lucratif UNION LUXEMBOURGEOISE DES CONSOMMATEURS Nouvelle a.s.b.l., établie et ayant son siège social à L-1274 Howald, 55, rue des Bruyères, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro F 2981, représentée par son conseil d’administration, diligence de son président, actuellement en fonctions,
appelante aux termes d’un exploit de l'huissier de justice Jean-Lou THILL de Luxembourg du 16 octobre 2006,
comparant par Maître Pierre REUTER, avocat à Luxembourg ;
e t
la société anonyme AUCHAN LUXEMBOURG S.A., établie et ayant son siège social à L-2721 Luxembourg, 5, rue Alphonse Weicker, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B 45515, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions,
intimée aux fins du prédit exploit THILL,
comparant par Maître Michel MOLITOR, avocat à Luxembourg.
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LA COUR D'APPEL :
L’association sans but lucratif UNION LUXEMBOURGEOISE DES CONSOMMATEURS Nouvelle, ci-après ULC, a demandé devant la juridiction compétente en matière de concurrence déloyale à voir ordonner à AUCHAN LUXEMBOURG S.A., ci-après AUCHAN, la cessation de tout acte contraire aux dispositions de la loi du 21 avril 2004 relative à la garantie de conformité et à l’article 17 de la loi modifiée du 30 juillet 2002 règlementant certaines pratiques commerciales, sanctionnant la concurrence déloyale et transposant la directive 97/55/CE sur la publicité trompeuse, sous peine d’une astreinte de 1.000 € à payer à la partie demanderesse par infraction constatée ou par document non conforme émis par AUCHAN dans les huit jours de la signification de l’ordonnance à intervenir.
ULC reproche à AUCHAN d’avoir commis des manquements aux articles 1,3,4,5,6 de la loi du 21 avril 2004 relative à la garantie de conformité. La garantie offerte par AUCHAN à sa clientèle dans son contrat de garantie et service après-vente serait sous de nombreux aspects attentatoire aux dispositions protectrices édictées par la loi du 21 avril 2004.
La garantie commerciale offerte par AUCHAN, qui a le même objet que la garantie légale, serait moins favorable que cette dernière. Elle prévoit une garantie d’un an sur certains biens mobiliers qu’elle vend alors que le régime légal prévoit une garantie de deux ans.
Elle lui reproche encore de s’être, par des annonces publicitaires qui font expressément mention d’une garantie de un an, mise en infraction à l’article 17(1) de la loi du 30 juillet 2002 qui interdit toute publicité trompeuse.
Par ordonnance du 13 février 2006 le juge saisi a reçu la demande
Quant à la violation de la loi du 21 avril 2004 il a retenu :
- que la loi du 21 avril 2004 ne prévoit pas qu’un commerçant ne peut offrir à ses clients une garantie commerciale, c.à.d. conventionnelle, dont la durée est plus limitée que celle de la garantie légale, sous condition cependant que la garantie conventionnelle ne déroge pas à la garantie légale, respectivement qu’elle ne limite pas celle-ci.
- que la loi du 21 avril 2004 a porté des modifications à la loi du 25 août 1983 relative à la protection juridique du consommateur en ce sens qu’une garantie commerciale doit indiquer la durée de la garantie légale et indiquer qu’elle ne fait pas obstacle à l’application des dispositions de la loi du 21 avril 2004 relatives à la garantie de conformité et des dispositions du code civil relatives à la garantie.
- que la mention insérée dans les dépliants publicitaires de la société AUCHAN qui omet d’indiquer en termes précis la durée de la garantie légale est incomplète et qu’elle a ainsi violé l’article 11(2) de la loi du 25 avril 1983 tel que modifié par la loi du 21 avril 2004,
- que cependant ni la loi du 25 août 1983, ni celle du 21 avril 2004 ne permettent à une association d’intenter une action en cessation pour voir ordonner à un commerçant de cesser de faire de la publicité en violation de l’article 11(2)(b) de la loi du 25 août 1983.
Le juge de première instance en a conclu que « le moyen de la partie demanderesse doit dès lors être rejeté ».
Il a quant à la violation de la loi du 30 juillet 2002 retenu
- que dans le dépliant publicitaire le délai de la garantie commerciale est indiqué en caractères très apparents alors que le délai de la garantie légale n’y est pas indiqué,
- que présenté de cette façon le consommateur normalement prudent et diligent est d’avis qu’il bénéficie du délai de garantie stipulé dans les caractéristiques du produit et que passé ce délai, il ne bénéficie plus d’une quelconque garantie,
- que les informations données aux clients dans les dépliants publicitaires de la société doivent être qualifiées de publicité trompeuse au sens de l’article 17(1) de la loi du 30 juillet 2002.
Le juge saisi a en conséquence ordonné la cessation immédiate de cet acte de concurrence déloyale sous peine d’une astreinte de 100 € par dépliant publicitaire distribué dans le public à partir du 15ième jour suivant la signification de l’ordonnance.
ULC a interjeté appel contre cette ordonnance par acte d’huissier du 16 octobre 2006.
Elle critique le juge de première instance pour avoir refusé de faire droit à sa demande à voir ordonner à la société AUCHAN de cesser ses actes contraires à la loi du 21 avril 2004 relative à la garantie de conformité. Ce faisant le juge n’aurait pas répondu à son argumentation développé en première instance.
Le commerçant qui vend des biens mobiliers corporels à des consommateurs ne pourrait leur offrir une garantie commerciale ayant exactement le même objet que la garantie légale de la loi de 2004 en prévoyant pour sa garantie commerciale un régime plus restrictif que celui prévu par la loi, que ce soit au niveau de la durée ou au niveau des autres droits du consommateur.
Elle affirme qu’il y a en l’espèce similitude d’objet entre la garantie légale et la garantie commerciale offerte aux clients par AUCHAN. Selon les termes mêmes de la garantie commerciale, celle-ci est applicable « en cas de survenance d’un défaut de fonctionnement ».
Comme les défauts visés par la garantie de conformité sont par essence des défauts de conformité, AUCHAN ne pourrait prévoir, comme elle le fait, dans son contrat de garantie un régime de garantie qui se révèle être plus restrictif que le régime légal.
ULC fait plaider qu’en offrant au consommateur un régime moins favorable que le régime légal pour des défauts équivalents, le vendeur professionnel déroge explicitement au régime légal, même si, comme en l’espèce, il affirme que cette garantie commerciale ne fait pas obstacle à l’application de la loi du 21 avril 2004. Le premier juge a retenu à bon droit que la loi du 21 avril 2004 n’interdit pas au commerçant de prévoir une garantie commerciale en parallèle à la garantie légale.
L’article 11 de la loi du 21 avril 2004 qui a porté des modifications à la loi du 25 août 1983 sur la protection juridique du consommateur prévoit entre autres modifications une garantie commerciale qu’il définit et pour laquelle il prévoit certaines conditions notamment celle de l’obligation a) « d’indiquer en termes clairs et compréhensibles son contenu et les éléments essentiels nécessaires à sa mise en oeuvre, notamment sa durée et son étendue territoriale, ainsi que l’adresse du garant ; b) indiquer la durée de la garantie légale et indiquer qu’elle ne fait pas obstacle à l’application des dispositions de la loi du 21 avril 2004 relative à la garantie de conformité et des dispositions du code civil relatives à la garantie ».
Il ne peut donc s’agir que d’une garantie prévoyant des prestations qui améliorent celles prévues par la garantie légale.
La lecture du contrat de garantie et de service après-vente dont question dans la présente affaire, fait ressortir que l’article 4 fait référence à la garantie légale prévue par la loi du 21 avril 2004. Le texte cite des extraits essentiels de la loi et plus spécialement en caractères gras le délai de deux ans pour dénoncer la non conformité du produit acheté. L’article 4 fait également référence à la garantie légale pour vices cachés.
La garantie commerciale est traitée par l’article 5 de ce contrat. Elle est limitée « selon l’appareil » à 1 ou 2 ans. A noter qu’elle est prévue pour TV ou VIDEO ou SON ou ELECTROMENAGER ou PHOTO ou TELEPHONI E ou MICRO INFORMATIQUE .
Dans cet article 5 il est renvoyé aux dispositions de la loi du 21 avril 2004 et aux dispositions du code civil relatives à la garantie « tel qu’il est indiqué à l’article 4 de la présente charte ». Il y est dit que la garantie commerciale ne fait pas obstacle à l’application desdites dispositions.
Il n’est pas contesté par AUCHAN, que cette garantie a le même objet que la garantie légale relative à la garantie de conformité. Si par les renvois aux dispositions de la loi du 21 avril 2004, elle remplit les formalités exigées par l’article 11 al.2 de la loi du 25 août 1983 sur la protection juridique du consommateur cité ci-avant, il reste cependant que dans ce contrat de garantie et de services après-vente AUCHAN déroge quant à la durée de la garantie aux dispositions de cette loi qui prévoit une garantie de 2 ans pour les défauts de conformité de tous les biens meubles corporels vendus.
Tel qu’il est formulé, ce contrat renvoie nécessairement aux dépliants publicitaires prévoyant sur les produits visés « une garantie de 1 an » parfois « une garantie de 1 an extensible à 2 ans » sans renvoi à la loi de 2004. Il a pour effet d’induire le client en erreur sur la durée de sa garantie et a ainsi pour conséquence indirecte d’empêcher l’application réelle des dispositions de la loi de 2004 et la prive d’effets. Le contrat de garantie ainsi offert n’est pas conforme aux dispositions impératives de la loi de 2004 sur la durée de la garantie.
L’ordonnance est à réformer en ce que le juge a dit que ni la loi de 1983 ni celle de 2004 ne permettrait à une association d’intenter une action en cessation sur base de la loi de 2004.
L’article 9 de la loi sur la garantie de conformité prévoit en effet expressément cette possibilité pour les organisations visées par la loi du 19 décembre 2003 telle l’ULC.
D’après cette disposition le juge peut à la requête des organisations visées par la loi du 19 décembre 2003, habilitées à intenter des actions en cessation, ordonner toute mesure destinée à faire cesser tout acte contraire aux dispositions de la loi. Comme l’article 9 vise toutes les dispositions de la loi, il vise également les modifications à la loi sur la protection du consommateur contenues dans son article 11.
La demande de ULC à voir entendre dire que AUCHAN a violé la loi du 21 avril 2004 relative à la garantie de conformité est recevable et fondée et en conséquence également sa demande à voir ordonner à AUCHAN de prendre toute mesure utile afin de se conformer dans tous ses documents contractuels avec des consommateurs aux dispositions de la loi du 21 avril 2004.
Appel incident :
Auchan interjette appel incident contre l’ordonnance du 13 février 2006 sur ce que le premier juge a qualifié à tort de publicité trompeuse au sens de l’article 17(1) de la loi du 30 juillet 2002, le fait par elle d’indiquer dans ses dépliants publicitaires des délais de garantie commerciale inférieurs au délai de garantie légale en omettant de d’indiquer que cette garantie légale est de 2 ans.
Son premier moyen à l’appui de son appel consiste à dire que l’action en cessation sur base de l’article 17(1) de la loi du 30 juillet 2002 est irrecevable, ULC ne justifiant plus d’un intérêt né et actuel pour agir. Ses dépliants publicitaires ne feraient plus de référence à une garantie commerciale depuis l’ordonnance du 13 février 2006.
Cet argument est à écarter, la référence à une garantie commerciale d’une durée inférieure à celle de la garantie légale pouvant être reproduite à tout moment sur les publicités de l’appelante sur incident.
Quant au fond AUCHAN affirme que tous ses dépliants publicitaires comportaient, lorsqu’il était fait mention de la durée de la garantie, à côté de l’article visé un avertissement en bas de page indiquant que « * la garantie commerciale ne préjuge pas de l’application de la garantie des vices cachés des articles 1641 du code civil et de la garantie de conformité prévue par la loi du 21 avril 2004 ».
Cette indication n’apparaît pas sur toutes les copies des dépliants versés en cause, sauf sur celui du 10 au 20 août 2005.
A supposer même que ce renvoi par astérisque se trouve sur tous les dépliants publicitaires, il reste toujours que dans ces dépliants publicitaires le délai de la garantie commerciale est bien mis en évidence et celui de la garantie légale n’y figure pas du tout.
AUCHAN fait également plaider que s’il est vrai que la durée de la garantie légale de conformité n’était pas expressément indiquée, il conviendrait cependant de noter que la loi du 21 avril 2004 exige une telle indication seulement dans le contrat de garantie commerciale proprement dit et non dans les documents publicitaires qui n’ont pas vocation à préciser dans le moindre détail les caractéristiques et conditions des offres.
Ce raisonnement est à écarter alors qu’il est évident que la loi sur la garantie de conformité s’applique à toute situation d’offre de garantie que se soit sur un dépliant publicitaire ou sur un contrat de garantie ou sur tout autre support possible.
Le premier juge a retenu à bon droit qu’à la vue de ce dépliant le consommateur normalement prudent et diligent est d’avis qu’il bénéficie du délai de garantie stipulé dans les caractéristiques du produit et que passé ce délai il n’a plus de garantie. Il est tout simplement mis en erreur par cette présentation qui semble lui offrir un régime de garantie particulière, nécessairement très favorable et que cette présentation publicitaire est de ce fait susceptible d’affecter son comportement économique.
Il n’est pas nécessaire en matière de publicité trompeuse, comme l’entend l’appelante sur incident, de rapporter la preuve que le client a spécialement acheté en raison de cette garantie et qu’il se contente d’invoquer celle-là en cas de non-conformité du produit acheté.
Il suffit de prouver que la publicité incriminée est susceptible d’influer le comportement du consommateur, ce qui est le cas en l’espèce. C’est donc à bon droit et pour des motifs que la Cour adopte, que le premier juge a dit que les informations données aux clients dans les dépliants publicitaires par AUCHAN sont à qualifier de publicité trompeuse.
AUCHAN critique dans un ordre subsidiaire la mesure d’affichage ordonnée par le premier juge. Cet affichage ne s’imposerait pas, alors que les clients d’AUCHAN se voient remettre conformément à l’article 11 de la loi de 1983 sur la protection juridique du consommateur un contrat de garantie qui énonce de manière détaillé chacune de garanties dont il peut bénéficier.
Cet argument est à écarter, la réglementation des pratiques commerciales sanctionne la publicité trompeuse et cette sanction n’est efficace que si elle s’adresse par une mesure d’affichage au public concerné, ce d’autant plus que le document de garantie en l’espèce déroge à la garantie légale.
Quant à la demande sur base de l’article 240 du Nouveau Code de Procédure Civile
La demande de ULC est fondée alors qu’il est inéquitable pour l’ULC de devoir supporter la totalité des frais non compris dans la condamnation aux frais et dépens.
La Cour fixe l’indemnité lui revenant à 1.000 €.
La demande de AUCHAN à cette fin n’est pas fondée, le bénéfice des dispositions de l’article 240 étant réservé à celui qui obtient gain de cause.
PAR CES MOTIFS :
la Cour d’appel, quatrième chambre, siégeant en matière de référé commercial, statuant contradictoirement,
reçoit l’appel et l’appel incident ;
dit que l’appel principal est fondé et que l’appel incident n’est pas fondé ;
réformant :
dit que la société AUCHAN LUXEMBOURG S.A. a contrevenu aux dispositions de la loi du 21 avril 2004 relatives à la garantie de conformité ;
défend à la société AUCHAN LUXEMBOURG S.A. de soumettre à ses clients un contrat de garantie et services après-vente qui indique un délai de garantie inférieur au délai légal pour les mêmes défauts que ceux visés par la garantie de conformité et ce sous peine d’une astreinte de 100 € par document remis à partir du huitième jour à partir de la signification du présent arrêt ;
fixe le plafond de l’astreinte à 50.000 € ;
confirme pour le surplus sauf que le délai pour la publication de la partie du dispositif qui se rapporte à la publicité trompeuse commence à courir huit jours à partir de la signification du présent arrêt ;
condamne la société AUCHAN LUXEMBOURG S.A. à payer à l’UNION DES CONSOMMATEURS Nouvelle a.s.b.l. 1.000 € sur base de l’article 240 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
déboute société AUCHAN LUXEMBOURG S.A. de sa demande sur base de l’article 240 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
condamne la société AUCHAN LUXEMBOURG S.A. aux frais et dépens des deux instances.