A r r ê t c i v i l
Audience publique du mercredi, treize février deux mille huit.
Numéro 32263 du rôle.
Composition :
Edmée CONZEMIUS, présidente de chambre ;
Marc KERSCHEN, premier conseiller ;
Camille HOFFMANN, conseiller ;
Patrick KELLER, greffier.
E n t r e :
1) SCHMITZ Carlo, employé BCEE,
2) BIVER Josiane, sans état connu,
les deux demeurant ensemble à L-5892 ALZINGEN, 25, rue Jean Wolter,
appelants aux termes d’un exploit de l’huissier de justice Jean-Lou THILL de Luxembourg en date du 15 mars 2007,
comparant par Maître Georges PIERRET, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg,
e t :
la société à responsabilité limitée NEUHENGEN CONSTRUCTIONS s.à r.l., inscrite actuellement au registre de commerce et des sociétés sous la dénomination de NEUHENGEN S.à r.l., établie et ayant son siège social à L-1420 LUXEMBOURG, 1, avenue Gaston Diderich, représentée par son gérant actuellement en fonctions sous le n° 87.183,
intimée aux fins du prédit exploit THILL,
comparant par Maître Virginie HENRY, avocat à la Cour, demeurant à Luxembourg.
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L A C O U R D ' A P P E L :
Par exploit du 4 novembre 2005, les époux Calo SCHMITZ et Josiane BIVER avaient assigné la s. à r. l. NEUHENGEN CONSTRUCTIONS pour voir constater que l’acquisition d’un terrain à bâtir conclue selon compromis de vente du 13 septembre 2005 pour un prix de 278.000 € serait parfaite entre parties, subsidiairement pour s’entendre condamner à la peine conventionnelle de 10% de la valeur du terrain outre les intérêts légaux.
La s. à r. l. NEUHENGEN CONSTRUCTIONS avait fait valoir que le compromis de vente aurait été signé par Laurent WOLTER, employé de la s.
à r. l., qui n’aurait pas eu le pouvoir d’engager la société sous la condition suspensive de l’acceptation par le propriétaire. En l’absence d’accord ultérieur de la part du propriétaire aucune vente n’aurait pu être valablement conclue. D’ailleurs un second compromis aurait été signé le même jour par le gérant avec un autre acheteur et l’acte notarié subséquent aurait été signé le 16 novembre 2005.
Par son jugement du 23 janvier 2007, le tribunal d'arrondissement de Luxembourg débouta les demandeurs de leur demande. Pour décider ainsi, le tribunal rejeta la théorie du mandat apparent invoquée qui serait contredite par la clause suspensive insérée dans le compromis de vente et par l’enjeu de l’acte en cause.
Ce jugement, signifié le 22 février 2007, a été entrepris par Carlo SCHMITZ et Josiane BIVER selon exploit du 15 mars 2007. A l’appui de leur recours, les appelants font valoir l’existence d’un contrat valablement formé entre parties qui aurait été signé par un représentant de l’intimée ayant le pouvoir d’engager la société. Subsidiairement, ils invoquent, comme en première instance, la théorie du mandat apparent « dès lors que de simples salariés ne soumettent pas de compromis de vente aux clients et apposent leur signature à la place du vendeur ». La condition suspensive de l’approbation et de la signature par le propriétaire serait sans incidence dès lors qu’ils ont légitimement cru contracter avec le représentant légal de la société NEUHENGEN CONSTRUCTIONS et donc avec le propriétaire de l’immeuble. Ils n’auraient jamais été informés de la prise de position du propriétaire de l’immeuble.
L’intimée fait valoir qu’elle n’a plus la qualité de propriétaire de l’immeuble qui aurait été vendu à un tiers selon compromis du 13 septembre 2005 et acte notarié du 16 novembre 2005. La demande principale en constatation de la vente et en passation de l’acte notarié serait donc irrecevable. Pour ce qui est du fond, l’intimée conclut à la confirmation de la décision entreprise.
Aucun compromis valable n’aurait été signé. La théorie du mandat apparent ne saurait pas s’appliquer en présence de la clause suspensive insérée dans le contrat. Subsidiairement, l’intimée présente une offre de preuve tendant à établir que les appelants avaient été avertis du défaut de qualité du vendeur Laurent WOLTER pour engager la société et proposent d’entendre Laurent WOLTER comme témoin.
Par des conclusions subséquentes, les appelants invoquent l’article 1er de la loi du 25 août 1983 sur la protection juridique du consommateur pour voir dire que la condition suspensive s’analyserait en une condition purement potestative dépendant de la seule volonté de la partie débitrice et serait à déclarer nulle et non avenue. Elle créerait un déséquilibre manifeste entre les obligations des parties. Ils critiquent l’offre de preuve comme étant irrecevable sur le fondement de l’article 1341 du code civil. Le mandataire apparent ne saurait être entendu comme témoin et l’offre de preuve serait irrecevable. Le principe de l’égalité des armes s’opposerait à l’audition du témoin WOLTER.
Dans leur réplique les intimés soulèvent l’irrecevabilité de la demande pour inobservation de l’article 17 de la loi du 25 septembre 1905 sur la transcription des droits réels immobiliers. Selon l’intimée son offre de preuve, qui ne tendrait qu’à rapporter la preuve de simples faits, serait recevable et le principe de l’égalité des armes ne s’appliquerait pas. La clause suspensive respecterait l’égalité des parties et ne créerait aucun déséquilibre au sens de la loi sur la protection du consommateur.
Par des conclusions finales, les appelants font plaider l’inapplicabilité en l’espèce de la loi de 1905.
Avant d’examiner les moyens d’irrecevabilité soulevés, tous liés à l’exécution du compromis, la Cour d'appel estime indiqué d’analyser le fond du litige afin de vérifier si oui ou non un contrat de vente a été valablement conclu entre parties.
Le compromis négocié entre parties contient la condition suspensive suivante : « Le présent compromis prendra effet sous la condition suspensive expresse de l’approbation et de la signature du compromis par le propriétaire » et est signé par les acquéreurs Calo SCHMITZ et Josiane BIWER. Une signature figure de même devant la mention « Le vendeur » suivie du cachet « Neuhengen Construction s. à r. l. Représentée par Laurent Neuhengen ». Selon les appelants cette signature serait celle de Laurent Neuhengen, représentant légal de la s. à r. l. NEUHENGEN CONSTRUCTIONS, tandis que selon l’intimée, il s’agirait de celle de son vendeur Laurent WOLTER qui n’aurait pas la qualité requise pour l’engager. Les pièces versées au dossier permettent à la Cour d'appel de retenir que la signature figurant à la rubrique « Le vendeur » est effectivement celle de Laurent WOLTER.
Selon l’intimée, les appelants se seraient à plusieurs reprises présentés à l’agence où ils auraient pu discuter avec Monsieur Laurent NEUHENGEN personnellement de sorte qu’ils n’auraient pu se méprendre sur la personne de leur interlocuteur et auraient su traiter avec un salarié de l’agence.
Ce fait est contesté par les appelants qui font valoir encore que la clause suspensive invoquée n’aurait de sens que si le propriétaire est un tiers et non pas, comme en l’espèce, l’agence elle-même.
Le contrat dont s’agit n’est pas un contrat pré-imprimé, mais un contrat spécialement négocié en toutes ses clauses et conditions entre le vendeur, la s. à r. l. NEUHENGEN CONSTRUCTIONS et les acquéreurs, les appelants actuels. NEUHENGEN CONSTRUCTIONS est tant propriétaire que vendeur. Lors de la signature du contrat de vente, elle a agi comme vendeur et s’est réservée son approbation en tant que propriétaire. Aussi le contrat n’est-il pas signé par le propriétaire, mais par un vendeur. En acceptant la clause suspensive, donc l’approbation par le propriétaire, les acquéreurs ont reconnu traiter uniquement avec un vendeur. Ils ont de même reconnu que ce vendeur est sans qualité pour engager définitivement le propriétaire et que la vente ne sera parfaite qu’à partir de l’approbation de la part du propriétaire, approbation qui n’a jamais été donnée. Décider autrement reviendrait à dénuer la clause suspensive de tout sens.
La clause telle que libellée est à interpréter en ce sens que le vendeur n’a que le droit de négocier le contrat de vente sans néanmoins pouvoir engager le propriétaire qui gardera le droit de décision. La clause ne constitue donc pas une condition potestative qu’il est au pouvoir de l’une ou de l’autre des parties de faire arriver ou d’empêcher, mais une clause juridiquement correcte destinée à réserver au propriétaire le droit de signature. Avant la signature par le propriétaire, le contrat ne constitue qu’une offre d’achat ne créant d’obligations qu’à la charge d’une des parties, en l’occurrence l’acheteur. En signant le contrat, l’acheteur a donné son engagement d’acquérir le terrain, objet de la négociation, par une offre d’achat révocable comme telle jusqu’à ce que la vente devienne parfaite par l’acceptation du propriétaire. La rencontre de cette offre avec l’acceptation du propriétaire suffira à former le contrat. Or, cette rencontre de volontés n’a jamais eu lieu, le propriétaire ayant le jour même du compromis signé un autre compromis avec un tiers acheteur (Dans ce sens : Cass fr.com. 6 mars 1990, Sem Juridique 1990, 21583, arrêt Cour d'appel 27.04.2005, no 28966 du rôle, Garage Martin Losch c/ König, Cass. 4 mai 2006 entre les mêmes parties).
C’est encore à tort que les appelants invoquent la théorie du mandat tacite, cette théorie étant contredite par la clause négociée entre parties, qui exclut tout mandat tacite, mais soumet la validité du contrat de vente explicitement à l’approbation de la part du propriétaire.
S’agissant d’une simple promesse de vente qu’il est loisible aux acquéreurs de retirer tant que le propriétaire n’a pas donné son accord, et non pas d’un engagement irrévocable du consommateur à l’encontre d’un professionnel, la clause dont s’agit n’est pas contraire aux règles édictées par la loi du 25 août 1983 relative à la protection des consommateurs et n’entraîne aucun déséquilibre des droits et obligations au préjudice du consommateur.
Lorsque les parties insèrent dans leur contrat une condition suspensive la situation est régie par l’article 1176 du code civil : «Lorsqu'une obligation est contractée sous la condition qu'un événement arrivera dans un temps fixe, cette condition est censée défaillie lorsque le temps est expiré sans que l'événement soit arrivé. S’il n’y a pas de temps fixe, la condition peut toujours être accomplie et elle n’est censée défaillie que lorsqu’il est devenu certain que l’événement n’arrivera pas». Cette certitude était acquise le jour même du compromis, lorsque le propriétaire a cédé le terrain à un tiers.
Comme la défaillance de la condition empêche l’obligation de prendre naissance, les parties sont dans la même situation que si elles n’avaient pas contracté. La décision entreprise est donc à confirmer en ce qu’elle a débouté les époux Carlo SCHMITZ-BIVER tant de leur demande principale que de celle subsidiaire, basées exclusivement sur la validité du compromis comme contrat de vente.
Vu la décision à intervenir, les appelants n’obtenant pas gain de cause dans leur recours, leur demande en octroi d’une indemnité de procédure est à rejeter.
Comme l’intimée n’a pas justifié de l’iniquité requise, sa demande en octroi d’une indemnité de procédure est à rejeter.
P a r c e s m o t i f s :
la Cour d'appel, première chambre, siégeant en matière civile, statuant contradictoirement entre parties, sur rapport du magistrat de la mise en état,
reçoit l’appel en la forme ;
le dit non fondé ;
confirme la décision entreprise ;
condamne les appelants aux dépens avec distraction au profit de Maître Virginie HENRY.
La lecture du présent arrêt a été faite en la prédite audience publique par Edmée CONZEMIUS, présidente de chambre, en présence de Patrick KELLER, greffier.